Colonie agricole et pénitentiaire du Luc (Genèse)
Baguenaudes qui a pour habitude de folâtrer à quatre pattes dans l’herbe ou la boue et dont la plume et l’humour possèdent la légèreté d’un AMX 30 rouillé, Baguenaudes, donc, s’attaque aujourd’hui à un sujet bien pesant que l’Histoire, penaude, se dépêche d’oublier.
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L’objet de ces propos liminaires concerne une colonie agricole et pénitentiaire fondée en 1856.
Plantons le décor:
Nous sommes sur les Grands Causses où la nature a façonné des paysages empreints de majesté. Soleil de plomb l’été et grandes froidures l’hiver, il a fallu aux paysans la ténacité d’une tique pour s’accrocher et subsister sur ces terres caillouteuses et dépourvues d’eau excepté quelques lavognes souvent taries au plus fort des chaleurs.
Quand on arpente ces paysages somptueux, il est difficile d’imaginer les événements qui s’y déroulèrent il n’y a pas si longtemps. Pourtant, bien cachés, des vestiges impressionnants demeurent et racontent une histoire qui ne peut laisser indifférent.
De ces grands espaces contemplatifs émane une impression de liberté, pourtant, paradoxalement, c’est une des raisons de l’implantation d’une colonie pénitentiaire en 1856. Ici, pas besoin de grandes murailles ni de grilles, l’étendue du paysage désertique rend toute tentative d’évasion vouée à l’échec. Pourtant, plus d’un colon ont été tentés par une envie irrésistible de liberté, rêve qui se transformait immanquablement en cauchemar au cours d’un séjour en cellule d’isolement.
Origine des colonies agricoles et pénitentiaires :
Tout ceci prend une dimension encore plus poignante quand on sait que les détenus étaient mineurs et orphelins pour une bonne part. La misère latente qui régnait au XIXe parmi les classes laborieuses favorisait une nombreuse délinquance juvénile qui effrayait le bourgeois.
En attendant l’invention du Karcher, les gavroches et sauvageons livrés à eux-mêmes, se retrouvaient facilement derrière les barreaux.
La fin du XIXe voit émerger une prise de conscience concernant le manque d’efficacité de la rétention carcérale pour les mineurs où la cohabitation avec les adultes fait des ravages.Inspirée du système pénitentiaire de la prison d’Auburn dans l’État de New York, une première tentative pour pallier la promiscuité des prisons et tenter de remettre ces mineurs dans le droit chemin eut lieu à la Petite Roquette. La délinquance étant considérée comme « maladie contagieuse », les enfants étaient internés en complet isolement cellulaire interdisant toute communication entre eux. Travail, école, déplacements, office religieux se font sans aucun contact visuel ou oral. Les déplacements s’effectuent cagoulés! Folies et suicides décimèrent rapidement les détenus. Nous voyons ici les stalles individuelles empêchant tout contact avec son voisin pendant la messe.
Constatant l’échec de cette méthode « rédemptrice », il est proposé d’envoyer les délinquants à la campagne dans des colonies publiques ou privées où sabre, goupillon et travail seront les nobles leviers chargés de remettre les mineurs dans la bonne direction. Associée à une formation aux métiers agricoles, une éducation scolaire doit être donnée.
Les filles délinquantes, quelle que soit leur religion, sont dirigées dans des établissements gérés par des congrégations du type Bon Pasteur. Elles y demeurent recluses jusqu’à 21 ans.
La loi votée en 1850 encourage les initiatives privées en échange d’une pension versée pour chaque enfant accueilli.
Ce but louable a rapidement été dénaturé au profit de l’enrichissement des administrateurs ou par manque de moyens quand l’Etat diminuait les subventions. Dans un cas comme dans l’autre, les conséquences pour les enfants détenus étaient effroyables à nos yeux contemporains. Bénéficier d’une main d’oeuvre pratiquement gratuite et corvéable à merci était une aubaine pour l’administrateur.
Il faut néanmoins garder en tête que le travail des enfants était monnaie courante. Par exemple, à Carmaux, en 1850, 20% des mineurs sont des enfants et dans le monde rural, la location des enfants était chose banale.
Photo Wikipédia.
Au sein des colonies pénitentiaires, il faut ajouter à la dureté du labeur, la privation de liberté, les carences alimentaires, les conditions d’hygiène affligeantes et on imagine les sévices subis par les gamins livrés à l’autorité de certains matons. Les châtiments corporels sont interdits, mais de nombreux témoignages mentionnent des enfants roués de coups en cas de non-respect du règlement. Les surveillants n’ont aucune formation et sont souvent recrutés parmi d’anciens militaires voir d’anciens bagnards! Les colons n’étaient pas tendres entre eux non plus. Violence et homosexualité règnent dans cet univers clos ou l’absence d’affection se fait cruellement ressentir!
Par exemple, à Aniane, pour éviter toute « perversité », les colons dorment dans des « cages à poules ».
L’éducation scolaire se borne au minimum et n’est effectuée que pendant les rares moments où les travaux laissent un peu de temps libre.
Certains colons étaient placés dans des exploitations extérieures assurant un revenu supplémentaire à la colonie.
Les colons
Un simple délit de vagabondage, un menu larcin, ou une demande paternelle suffisaient pour se retrouver dans ces colonies.
De par
la loi de 1850, sont concernés : les mineurs acquittés ayant agi sans discernement, non remis à leur famille ainsi que les mineurs condamnés comme discernants à un emprisonnement allant de 6 mois à 2 ans. Les articles 10 et 16 de la même loi prévoient des
colonies correctionnelles pour les mineurs condamnés à plus de 2 ans, ainsi que des colonies pénitentiaires pour les insubordonnés.
Cette loi 1850 possède un coté pervers. A la suite de son arrestation, l’enfant jugé coupable était envoyé dans des centres de correction pour une durée plus ou moins longue. Par contre, si l’enfant était acquitté pour avoir agi sans discernement, il était envoyé dans une colonie agricole jusqu’à sa majorité afin qu’il soit soustrait à un environnement susceptible de le corrompre. Pour un vol bénin ou vagabondage ou par simple volonté parentale, un gavroche de huit ans pouvait se retrouvé « colonisé » jusqu’à 21 ans.
La longueur des détentions en rapport aux délits s’expliquent par le fait que ces internements étaient appliqués dans l’idée de soustraire l’enfant à la mauvaise influence de son environnement habituel. Ce n’était pas pour déplaire aux propriétaires des colonies privées qui bénéficiaient ainsi d’un « retour sur investissement ».
Ces conditions effroyables ont fait que les tentatives d’évasions et révoltes étaient nombreuses malgré les représailles encourues. Mitard et régime sec furent la cause de plusieurs décès. La mortalité était plus ou moins importante suivant les colonies. A Mettay, entre 1837 et 1939 environ 700 décès sont retenus. Il faut tenir compte du fait que les enfants confiés aux colonies n’étaient pas tous en bonne santé.
Sur l’hexagone, environ une soixantaine de colonies privées furent créées et une dizaine publiques. (Belle-Ile, Aniane etc.).
Le sort des filles entre les mains des institutions catholiques n’était pas plus enviable.
L’ordonnance du 2 février 1945 remplace les colonies agricoles pénitentiaires par des structures véritablement éducatives gérées par une nouvelle direction du ministère de la Justice, l’Éducation surveillée. En 1970, le mitard était encore de mise dans certains centres.
Avec l’actualité où la délinquance juvénile et les réformes pénales font beaucoup parler, cette évocation d’un passé pas si lointain prend une résonnance toute particulière.
L’établissement du Luc créé en 1856.
Cette colonie, dont nous allons visiter les vestiges, véhicule quelques fantasmes au pathos exagéré. Les faits qui s’y déroulèrent sont suffisamment pesants sans qu’il soit besoin d’en rajouter.
Monsieur M . de Luc, conseiller régional du Gard, possédait une grande propriété sur le Causse. Membre du jury de surveillance de la ferme école de Mas le Conte et magistrat, il est au courant des travaux de Demetz à Mettray dont la devise était: Sauver le colon par la terre et sauver la terre par le colon.
Dans un but « philanthropique », il décide de faire fructifier ce domaine de terres rocailleuses en créant une colonie qui éduquerait les enfants pervertis.
S’il ne fait aucun doute concernant la volonté philanthropique de Mr.de Luc, il semblerait que la gestion ait fait preuve d’une certaine naïveté. Le recrutement des surveillants s’effectuait parmi les agriculteurs locaux. Leur manque de qualification et la perversité de quelques uns engendrèrent beaucoup de désordres principalement entre 1865 et 1870 qui menacèrent la sérénité de l’établissement.
M.de Luc, malade, passera la main à son fils Hippolyte en 1871.
Pour rendre les terres exploitables, il a fallu épierrer de grandes surfaces, les débroussailler. Toutes les pâtures environnantes sont encore ceintes de murets impressionnants, vestiges du travail de ces pauvres petites mains chargées d’épierrer une propriété couvrant 1500 hectares.(Deux fois plus qu’à Mettray.)
D’après l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours, la nourriture était très correcte au Luc, voire bien supérieure à celle des paysans locaux. Pain et fromages ne manquaient pas, la colonie possédant son propre moulin. L’étendue de cette prairie qu’occupait le potager donne une idée de l’importance de ce dernier. Suivant les époques, il fallait nourrir plus de 300 bouches.
Le bosquet à droite recouvre les latrines dont la fosse est pourvue d’une ouverture qui bée vers le potager. Toutes les fumures, mélangées à la paille, sont bonnes à utiliser.
Nous avons vu que les vertus pédagogiques du travail de la terre étaient prônées. La tâche principale des petits était l’épierrement du sol, le ramassage et hachage du buis pour les litières. Les plus grands participent aux travaux de culture, horticulture et élevage. Le Luc possédait un des plus grands troupeaux de la région (jusqu’à 900 brebis). Grace au travail des colons, la colonie peut pratiquement vivre en autarcie.
Des voies de communication sont également tracées. Les promeneurs qui arpentent le GR71 entre le Luc et La Couvertoirade ne se doutent pas que ce chemin nivelé est le fruit du travail fourni par les enfants du Luc.
Il est maintenant difficile de se faire une opinion concernant les conditions de vie des enfants du Luc. On note un grand écart entre les dires de la femme du petit-fils du fondateur de la colonie du Luc (1) et les narrations concernant d’autres établissements. (2).
L’importance de la ferme, jointe au rapport d’une fromagerie, implique que le Luc n’a pas dû trop souffrir du manque de moyens financiers inhérent aux autres établissements. Par ricochet, l’existence des colons, bien que très dure, devait être meilleure que dans la plupart des autres colonies. Malgré les rigueurs de l’hiver, le taux de mortalité au Luc était semblable à celui des autres colonies et parait-il, inférieur à celui subi par les autochtones. Pas facile à vérifier.
L’entrée du cimetière est enfouie sous une végétation qui ne tardera pas à venir à bout du porche si rien n’est fait.
D’après les statistiques pénitentiaires, j’ai relevé pour la période de 1856 à 1904 au moins 135 décès. Les causes sont principalement la tuberculose et les fièvres typhoïdes fléaux de cette époque. Combien de colons reposent sous cette parcelle oubliée ? Je ne sais pas. Tempus fugit, memoria manet dit-on, mais ce n’est pas vrai pour les enfants du Luc. L’endroit est devenu une friche anonyme quasi impénétrable.
A l’intérieur, la croix qui vraisemblablement surmontait ce piedestale a été enlevée du lieu de repos éternel. Un siècle plus tard, tout semble fait pour que disparaissent de la mémoire collective les souvenirs de cette période qui a vu la population profiter directement ou indirectement de la présence des colons. Pour ces colons, c’est la double peine. Après avoir vu leur jeunesse privée de liberté, ils sont mis au ban de la mémoire collective…
Pardonnez ce texte inhabituellement long sur Baguenaudes, mais le souvenir de ces enfants mérite de sortir de l’oubli en dépit du sentiment de culpabilité qui règne encore sur cet endroit.
COGITE PARVULOS REDIRE AD ME
On trouve cette inscription sur un autre calvaire qui lui, a conservé sa croix. Effectivement, je pense qu’ils en sont revenus!
Vous n’avez pas tout vu! Dans un prochain article, nous ferons le tour des bâtiments de cette ancienne colonie.
Liens et documentations pour approfondir:
Audio:
(1)Reportage France Culture:Ce reportage audio résume parfaitement les impressions actuelles qui émanent de ce lieu.
France Inter. Sur les colonies :
Colonie de Mettray. (Là bas si j’y suis) . Témoignage exceptionnel d’un ancien colon.
Articles:
Genèse des colonies pénitentiaires :
Eric Pierre. Les colonies pénitentiaires pour jeunes détenus : des établissements irréformables (1850-1914)
Jean François Condette. Entre enfermement et culture des champs, les vertus éducatives supposées du travail de la terre et de l’atelier.
Quelques dates importantes. Enfants en justice.
Livres :
La colonie pénitentiaire et agricole du Luc. Geoffroy LACOTTE. Arts et traditions Rurales 2012. (Incontournable !)
Le jardin. Jean Castan 1992 éd La Mirandole. (L’auteur est le petit fils d’un des gardiens chef du Luc.)
Les Enfants du bagne, Marie Rouanet,(2) éd. Documents Payot, 1992
Enfants du malheur ! Les bagnes d’enfants. Henri Danjou, éd la manufacture de livres.