la genèse,
les bâtiments,
la fromagerie.
A la suite d’une nouvelle visite , il m’a semblé intéressant de revenir sur quelques témoignages laissés par les colons au cours des séjours qu’ils effectuaient en cellules.
Le but n’est pas ici de surfer sur une corde sensible, bien qu’il soit difficile de déchiffrer ces graffitis sans éprouver un sentiment de compassion ou de révolte, mais il faut tenter de se replacer dans le contexte de l’époque où la notion d’enfant roi n’était pas franchement d’actualité.
Quittant la civilisation en sortant de la gare d’Alzon, les gamins ou adolescents qui se rendaient à la colonie devaient se demander sur quelle planète leurs existences allaient dorénavant se dérouler. Issus pour la plupart de villes, la découverte de cet univers minéral et silencieux devait vêtir leur moral d’un paletot bien lourd à porter.
Déjà privé de liberté jusqu’à sa majorité, pour le colon récalcitrant, la double peine sous la forme d’ un séjour en cellule était fréquente.
Au Luc, les 5 cellules sont les seules parties des bâtiments restées en l’état et je remercie le propriétaire qui m’a ouvert l’huis, me permettant ainsi d’écouter parler les murs.
Le passe-plat, au ras du sol n’échappe pas à la règle. C’est pourtant par cet orifice que le dénommé Bottari aurait réussi à forcer la serrure du bas et par le judas celle du haut. Cette version, relatée par les chaussettes à clous, parait peu probable, une complicité extérieure me semble plus plausible.
Du sol au plafond, les murs sont recouverts de graffitis. On est fortement interpellé par tous ces noms tantôt soigneusement calligraphiés tantôt furtivement ou maladroitement tracés. En essayant de les déchiffrer, on ne peut s’empêcher de les personnaliser en y greffant par imagination une évocation de ce que pouvait être le caractère de leurs auteurs. Hargneux Pieroti dont le patronyme est profondément gravé en plusieurs endroits ? Rêveur Druais avec son penchant manifeste pour le dessin? Fataliste Chouvin et son poème pessimiste? Insoumis Rustoll? Amoureux Giraud? Je suis certainement à côté de la plaque, mais qu’importe, ces témoignages d’enfants méritent bien qu’on s’y attarde.
C’est sur la peinture écaillée des portes que l’on peut relever les inscriptions les plus anciennes. Parmi la profusion d’inscriptions, on peut distinguer ici un Albert Villeneuve né(e) à Oran en 1892.
Au fil du temps, les murs ont été enduits plusieurs fois aussi les gravures que l’on peut distinguer aujourd’hui appartiennent à la dernière période alors que le Luc était passé sous la tutelle de l’Assistance Publique (1904-1929).
Le temps efface petit à petit les traces. Les mentions du lieu et date de naissance sont pratiquement systématiquement mentionnées. Ce sont bien souvent les seuls éléments connus de ces enfants concernant leurs origines et l’on comprend qu’ils s’y accrochent. On constate des provenances géographiques très variées. On peut noter que plusieurs graffitis indiquent des colons originaires d’Algérie (Constantine, Oran, Orléansville). Sans doute une des conséquences de l’immigration encouragée suite à la révolution de 1848. Le manque de préparation et les maladies ont causé beaucoup de décès ce qui a dû engendrer de nombreux orphelins.
Ici, on devine La Roche sur Yon.
Armel Charteau 21 Octobre 1896 à Nantes souhaite le bonjour à tous.
Pour tromper l’ennui, certains esquissent un autoportrait à moins que ce soit le visage d’un camarade comme l’atteste la présence d’un béret qui faisait partie de l’uniforme du colon.
Est-ce le même colon qui rentre poule et poussins à l’abri du renard?
Ici la seule représentation féminine que j’ai vue. Le texte accompagnant cette élégante au sourire en coin est à jamais perdu.
Ce profil est peut-être dû au même artiste.
Là, nous avons droit à un marin déclarant: Je suis un fayot de la marine ! Une moquerie envers un gardien ancien militaire ? Encore une supposition!
En dessous, un carré magique formé des chiffres de 1 à 9 et dont chaque ligne est un total de 15. Les degrés d’instructions que l’on peut déduire grâce aux graffitis sont pour le moins hétérogènes.
Est-ce Permann(?) Jean-Marcel qui a tenté ces calculs ? Voila 432 heures que je suis en cellule. 224490 minutes et 1393 secondes.
Il compte les jours, les heures jusqu’aux secondes, mais fataliste, il ajoute plusieurs fois : MES ENFIN JE NE MAN FE PA
Sur ce panneau, on peut voir en plusieurs endroits, 5 points assemblés comme sur une face de dé. Dans les prisons, ce signe symbolise l’enfermement entre quatre murs.
Figure également la date de 1927. Bien que devenue Ecole professionnelle en 1904, il apparaît clairement que les méthodes héritées de la période pénitentiaire ont perduré jusqu’à la fermeture en 1929.
La notion de classe militaire est très présente dans les graffitis. Pour beaucoup, l’engagement dans l’armée était la solution choisie à leur sortie du Luc. Arrivé à l’age de 13 ans, Rastoll entame sa dernière année au Luc en cellule.
Dans une autre cellule, Rastoll nous indique son 2eme prénom: Manuel
Peut-être par esprit bravache, il nous a laissé un poème. En est-t-il l’auteur ? Peu importe,! le texte fait froid dans le dos tant il décrit l’avenir qui était réservé à nombre de ces colons qui se sont retrouvés déphasés à leur libération.
La Loire m’a vu naître
L’Assistance m’a vu paraître
La colonie de Mettray dans la torture
La colonie du Luc dans l’esclavage
Les prisons me verront rentrer
Le bagne me verra souffrir
Et Cayenne sera mon tombeau
Et debler* me fera passer le cou par la lunette
L’échafaud me verra mourir.
A 18 ans, en traçant ces lignes, ce Chouvin était d’une lucidité effrayante et ne se faisait guère d’illusions quant à son avenir lointain. Néanmoins, cet originaire de Saint-Etienne pense à se mettre au vert:A moi la Loire et ses filles charmantes dans six mois au jus.
C’est la plus ancienne inscription que j’ai pu relever.
MES CHERS AMIS
PRENEZ TOUS LA FUITE
NE RESTEZ PAS AU LUC
Pierotin, Coste, Mustapha, Giraud, Mollier, Toselli, nombreux sont les patronymes que l’on peut déchiffrer avec un éclairage rasant dans les différentes cellules. Au cours de différents séjours, ces jeunes rebelles aux origines très variées ont laissé leurs noms, sinon pour perpète, du moins tant que dureront les murs.