La colonie agricole et pénitentiaire du Luc. (Cellules)

 

Je vous ai déjà décrit mes observations concernant la colonie agricole du Luc au cours de ces trois articles:
la genèse,
les bâtiments,
la fromagerie.

 
A la suite d’une nouvelle visite , il m’a semblé intéressant de revenir sur quelques témoignages laissés par les colons au cours des séjours qu’ils effectuaient en cellules.
Le but n’est pas ici de surfer sur une corde sensible, bien qu’il soit difficile de déchiffrer ces graffitis sans éprouver un sentiment de compassion ou de révolte, mais il faut tenter de se replacer dans le contexte de l’époque où la notion d’enfant roi n’était pas franchement d’actualité.
Quittant la civilisation en sortant de la gare d’Alzon, les gamins ou adolescents qui se rendaient à la colonie devaient se demander sur quelle planète leurs existences allaient dorénavant se dérouler. Issus pour la plupart de villes, la découverte de cet univers minéral et silencieux devait vêtir leur moral d’un paletot bien lourd à porter.

Déjà privé de liberté jusqu’à sa majorité, pour le colon récalcitrant, la double peine sous la forme d’ un séjour en cellule était fréquente.

Au Luc, les 5 cellules sont les seules parties des bâtiments restées en l’état et je remercie le propriétaire qui m’a ouvert l’huis, me permettant ainsi d’écouter parler les murs.

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En haut et en bas de la porte, serrure doublée d’une targette, judas fermé par une trappe métallique, les moyens de fermeture sont bien afférents à ceux d’une porte de cellule. Ces mesures carcérales semblent bien excessives quand on sait que toute évasion relevait de l’utopie tant l’environnement était désertique. Pourtant, plus d’un ont tenté de se faire la belle.

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Le passe-plat, au ras du sol n’échappe pas à la règle. C’est pourtant par cet orifice que le dénommé Bottari aurait réussi à forcer la serrure du bas et par le judas celle du haut. Cette version, relatée par les chaussettes à clous, parait peu probable, une complicité extérieure me semble plus plausible.

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Le décor est vite planté. Quatre murs, une porte et un soupirail muni de barreaux. Pas de moyen de chauffage.

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Du sol au plafond, les murs sont recouverts de graffitis. On est fortement interpellé par tous ces noms tantôt soigneusement calligraphiés tantôt furtivement ou maladroitement tracés. En essayant de les déchiffrer, on ne peut s’empêcher de les personnaliser en y greffant par imagination une évocation de ce que pouvait être le caractère de leurs auteurs. Hargneux Pieroti dont le patronyme est profondément gravé en plusieurs endroits ? Rêveur Druais avec son penchant manifeste pour le dessin? Fataliste Chouvin et son poème pessimiste? Insoumis Rustoll? Amoureux Giraud? Je suis certainement à côté de la plaque, mais qu’importe, ces témoignages d’enfants méritent bien qu’on s’y attarde.

C’est sur la peinture écaillée des portes que l’on peut relever les inscriptions les plus anciennes. Parmi la profusion d’inscriptions, on peut distinguer ici un Albert Villeneuve né(e) à Oran en 1892.

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Au fil du temps, les murs ont été enduits plusieurs fois aussi les gravures que l’on peut distinguer aujourd’hui appartiennent à la dernière période alors que le Luc était passé sous la tutelle de l’Assistance Publique (1904-1929).

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Le temps efface petit à petit les traces. Les mentions du lieu et date de naissance sont pratiquement systématiquement mentionnées. Ce sont bien souvent les seuls éléments connus de ces enfants concernant leurs origines et l’on comprend qu’ils s’y accrochent. On constate des provenances géographiques très variées. On peut noter que plusieurs graffitis indiquent des colons originaires d’Algérie (Constantine, Oran, Orléansville). Sans doute une des conséquences de l’immigration encouragée suite à la révolution de 1848. Le manque de préparation et les maladies ont causé beaucoup de décès ce qui a dû engendrer de nombreux orphelins.
Ici, on devine La Roche sur Yon.

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Armel Charteau 21 Octobre 1896 à Nantes souhaite le bonjour à tous.

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A quelles amours s’adressent ces cœurs ? Parmi tous les entrelacs je n’ai pas discerné de prénoms féminins. Je n’ai pas non plus remarqué de graffitis à sous-entendu graveleux.

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Pour tromper l’ennui, certains esquissent un autoportrait à moins que ce soit le visage d’un camarade comme l’atteste la présence d’un béret qui faisait partie de l’uniforme du colon.
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Est-ce le même colon qui rentre poule et poussins à l’abri du renard?

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Ici la seule représentation féminine que j’ai vue. Le texte accompagnant cette élégante au sourire en coin est à jamais perdu.

Colonie agricole du Luc (7)Ce profil est peut-être dû au même artiste.

Profil

Là, nous avons droit à un marin déclarant: Je suis un fayot de la marine ! Une moquerie envers un gardien ancien militaire ? Encore une supposition!
En dessous, un carré magique formé des chiffres de 1 à 9 et dont chaque ligne est un total de 15. Les degrés d’instructions que l’on peut déduire grâce aux graffitis sont pour le moins hétérogènes.

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Le bis mentionné à la dernière ligne fait penser à un chant dont les paroles sont perdues. On ne saura pas ce qu’il fallait garder dans notre coeur…

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JE SORTIRAI QUAN DIEU LE VOUDRA VOICI 19 JOUR QUE JE SUI EN CELULE
Est-ce Permann(?) Jean-Marcel qui a tenté ces calculs ? Voila 432 heures que je suis en cellule. 224490 minutes et 1393 secondes.
Il compte les jours, les heures jusqu’aux secondes, mais fataliste, il ajoute plusieurs fois : MES ENFIN JE NE MAN FE PA

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Sur ce panneau, on peut voir en plusieurs endroits, 5 points assemblés comme sur une face de dé. Dans les prisons, ce signe symbolise l’enfermement entre quatre murs.
Figure également la date de 1927. Bien que devenue Ecole professionnelle en 1904, il apparaît clairement que les méthodes héritées de la période pénitentiaire ont perduré jusqu’à la fermeture en 1929.

 

La notion de classe militaire est très présente dans les graffitis. Pour beaucoup, l’engagement dans l’armée était la solution choisie à leur sortie du Luc. Arrivé à l’age de 13 ans, Rastoll entame sa dernière année au Luc en cellule.

Colonie agricole du Luc (18)
Dans une autre cellule, Rastoll nous indique son 2eme prénom: Manuel

rastoll

 

Louis Raymond Chouvin a gravé son nom en plusieurs endroits. Manifestement, il a effectué plusieurs séjours en cellule.
Peut-être par esprit bravache, il nous a laissé un poème. En est-t-il l’auteur ? Peu importe,clic! le texte fait froid dans le dos tant il décrit l’avenir qui était réservé à nombre de ces colons qui se sont retrouvés déphasés à leur libération.
La Loire m’a vu naître
L’Assistance m’a vu paraître
La colonie de Mettray dans la torture
La colonie du Luc dans l’esclavage
Les prisons me verront rentrer
Le bagne me verra souffrir
Et Cayenne sera mon tombeau
Et debler* me fera passer le cou par la lunette
L’échafaud me verra mourir.

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A 18 ans, en traçant ces lignes, ce Chouvin était d’une lucidité effrayante et ne se faisait guère d’illusions quant à son avenir lointain. Néanmoins, cet originaire de Saint-Etienne pense à se mettre au vert:A moi la Loire et ses filles charmantes dans six mois au jus.

 

Sur ce chevron réutilisé pour une modification de la toiture, on peut déchiffrer : Elena est rentré à la Colonie de Beaurecueil le 10 mars 1873 et au Luc le 24 ?
C’est la plus ancienne inscription que j’ai pu relever.

elena

 

Ce message se passe de commentaire !

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MES CHERS AMIS
PRENEZ TOUS LA FUITE
NE RESTEZ PAS AU LUC
Pierotin, Coste, Mustapha, Giraud, Mollier, Toselli, nombreux sont les patronymes que l’on peut déchiffrer avec un éclairage rasant dans les différentes cellules. Au cours de différents séjours, ces jeunes rebelles aux origines très variées ont laissé leurs noms, sinon pour perpète, du moins tant que dureront les murs.

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Refermons doucement la porte sur les fantômes des colons du Luc.

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19 réflexions sur « La colonie agricole et pénitentiaire du Luc. (Cellules) »

  1. Très bon blog, où j’ai appris des choses ( bien cachées). Excellentes photos et bons commentaires des photos et des textes, juste ce qu’il faut et parfait . Le Gard et l’Aveyron regorgent de lieux oubliés ( ou tombés dans le temps qui passe… ).Mais pas que dans cette région….J’y venais souvent, j’ai même découvert des sources d’eaux oubliées …Excellent travail ! Merci !

  2. C’est avec une certaine émotion que j’ai regardé les photos et lu les articles au sujet de cette colonie agricole du Luc,ou tant de malheureux ont souffert,je vous remercie également pour cet excellent reportage qui leurs a redonné vie pour un instant.

    • C’est moi qui vous remercie. C’est un sujet qui ne peut laisser indifférent sachant que dans de nombreuses autres colonies les conditions pouvaient être bien pires encore.

  3. Merci pour cette enquête documentée… la plus approfondie disponible sur ce lieu, sur le Net … et des photos offrant une bonne vision des lieux pour ceux qui n’y sont jamais venus … le temps passe et tout cela s’efface sans regret pour les gens du coin qui préfèrent oublier cet épisode peu glorieux … et pour finir, mon ressenti subjectif pour ce causse tourné aujourd’hui vers de très vastes domaines de chasse clos où quelques nantis viennent se détendre sur un gibier abondant et enfermé …

    « Agreste allégresse au causse Campestre aux dialectiques dynamiques : panoramas ouverts/propriétés fermées, plateau sec/vallée humide, vastitude libertaire/bagne mortifère. Antienne ancienne où l’homme transforme un Paradis naturel en Enfer artificiel. Mais là, un peu du Paradis perdu perdure malgré les effets pervers d’Enfers aussi délétères qu’éphémères. »

    • Merci pour votre message. Episode peu glorieux, mais très fréquent à l’époque et parfois dans des conditions bien plus difficiles (Vermiraux par exemple)

  4. Je découvre…. car, par le biais du géocaching, je dois me rendre dans ce lieu si chargé d’histoire(s) dans les prochains jours. Il est évident que, riche de ce que je viens de lire, je verrai les choses avec un tout autre regard que celui du passant lambda.
    Merci pour le travail de mémoire accompli, pour tous ces détails qui vont me permettre, pendant que je traînerai mes guêtres en ces lieux, d’entendre, parmi le bruit du vent dans les buis environnants, celui des sabots de ces enfants, leurs plaintes et, j’espère quelques rares rires.
    Grand merci

  5. Le 30/10/2019
    J’ai plusieurs ouvrages concernant les BAGNES POUR ENFANTS. Il y avait un bagne pour enfants à 15 km de mon domicile en très bon état, ses fenêtre avec les barreaux et son grand mur très haut.Silence dans le bourg……..Reste les graphitis …..
    Je suis très ému pour ces enfants qui n’avaient souvent fait qu’une petite bêtise et souvent simplement abandonnés.Quelle époque.N’oublions pas tous ceux qui ont perdu la vie par les traitements inhumains qu’ils ont subi.

  6. Merci pour cet excellent reportage. J’ai du mal à concevoir la bestialité de l’humain. Je regratte qu’il y ait pas de panneaux d’indication sur le terrain, ainsi qu’une remise en état des lieux (défrichement) pour immortaliser ces enfants qui ont perdu leur vie ainsi que les souffrances qu’ont subi les rescapas.

  7. Quel beau travail. Une envie de ne pas oublier… Merci pour cette lecture riche et la découverte de ce lieu chargé de son histoire.

  8. Bonjour
    C’est avec beaucoup d’émotion que j’ai regardé votre documentaire sur ce bagne des enfants.
    Je le cite dans mon livre, en voie de finition, où j’évoque le dernier fromager de notre village. Celui-ci envoyait son fromage de brebis mâturer à Roquefort.
    M’autorisez vous à y ajouter une de vos photos?
    Je compte bien y aller avec des amis pour découvrir ce lieu qui ne doit ABSOLUMENT PAS disparaître de la mémoire collective car elle fait parti de l’Histoire.
    Comment pourrai-je contacter un guide dans ce cas?
    Je vous remercie pour ce beaux travail que vous avez fait.
    Simone Besançon

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