La colonie agricole et pénitentiaire du Luc (Fromagerie)

Bien, revenons à nos moutons ou plutôt à nos brebis.
Le Causse de Campestre fait partie d’un système karstique où dolines, poljè, hums et avens font le bonheur des spéléologues et cruciverbistes.
Sut la a propriété des Marquès de Luc se trouve un aven spectaculaire qui a attiré la curiosité d’un certain Jeanjean. En 1857, suspendu à une corde, il atteint le fond. Là, il découvre que l’aven communique avec une vaste salle souterraine. Nous ne sommes pas loin de Roquefort et Jeanjean évoque la possibilité d’aménager cette cavité en cave pour l’affinage du fromage. L’idée est reprise en 1882 par un ingénieur (Mr Brisson) venu de Paris pour faire des études laitière. Une première expérience s’avère concluante. Elle sera récompensée par une médaille au concours agricole de Paris en 1883.
L’édification de la fromagerie est décidée malgré les difficultés incroyables à surmonter. En haut de l’aven une bâtisse de 6 étages est bâtie, plaquée sur la paroi verticale. L’édification, suspendue au-dessus du vide a dû être pour le moins ardue.

colonie du Luc

 

Sur le plateau, l’accès à l’étage supérieur de l’édifice dominant le vide se fait par quelques marches taillées dans la roche au ras du précipice.

colonie du Luc

 

La verticalité de l’environnement fait que les différents étages ne peuvent être  atteints que par des trappes intérieures munies d’échelles.

colonie du Luc

 

Dans la pièce inférieure, une grande ouverture fait face au vide. En effet, l’accès à la cave, 60 m. plus bas ne peut s’effectuer qu’à l’aide d’un treuil. Suspendu en plein vide, la journée de travail devait commençer  par une descente bien effrayante.

colonie du Luc

Le treuil est toujours là boulonné sur le sol. Il est actionné à l’aide de deux manivelles et muni d’un frein manuel pour contrôler la descente. Face au vide impressionnant, il semble bien dérisoire quand on songe au préposé au frein ayant la vie de son compagnon entre les mains !

colonie du Luc

Du pied de l’aven, on distingue à peine, tout en haut, la fromagerie et l’ouverture par où passait le câble. La verticalité est totale !

colonie du Luc

 

Nous ne pouvions que répondre présent à cet appel du vide , histoire de tester l’ambiance!

 ,colonie du Luc

Voir le Fichier : essai2_1422032981.mp4

 

Cette descente nous a permis de se rendre compte que l’arrivée du câble ne se trouvait pas en bas de l’aven, mais, sur un balcon qui domine d’une dizaine de mètres celui-ci.

colonie du Luc

Au pied de cette terrasse suspendue, on trouve encore des bouts de ferraille dont l’utilité nous échappe: système pour remonter les fromages sur le balcon ou restes de l’appareillage du treuil benné au fond de l’aven ? Mystère.

A l’extrémité de ce balcon, face à l’entrée de la cave, quelques marches permettent d’atteindre le haut de l’éboulis qui dégringole vers l’entrée de la cavité. Il est possible que l’agrégat recouvre maintenant un aménagement facilitant la descente jusqu’à l’entrée de la cave.

colonie du Luc colonie du Luc

 

Nous allons voir maintenant que la démesure ne s’arrête pas là ! La production de fromage augmentant, ce moyen d’acheminement s’avère nettement improductif.
Qu’importe, l’ingénieur n’est pas à cours d’idées exorbitantes d’autant que la main d’oeuvre est nombreuse et peu couteuse !
A deux cents mètres de l’aven, se trouve une vaste dépression naturelle (doline). Un tunnel est percé pour faire la jonction entre la cavité et la doline. Sur le pourtour de celle-ci, un chemin hélicoïdal est aménagé avec une déclivité la plus faible possible pour effectuer la jonction entre le tunnel et le plateau.

colonie du Luc

L’entrée du tunnel au niveau de la doline.

colonie du Luc

Pour pallier la faiblesse de la roche encaissante, une portion a été renforcèe par un parement soigneux.

 

Différents témoignages semblent faire l’amalgame avec les faits souvent dramatiques relatés dans ldifférentes colonies. Ils alimentent sur le Luc certaines affabulations tentées par la dénonciation de faits révoltants ou par goût du sensationnel qui, sont hélas souvent assénées comme vérité. Par exemple, une légende tenace évoque le creusement du  tunnel   au pic par les enfants alors qu’une simple observation sur place révèle sans ambiguîté des traces de minage et de tir d’explosifs, preuves d’un travail de professionnels. Ceci dit, il est plus que probable que les colons aient massivement participé à ces travaux de terrassement qui se déroulèrent au cours de l’année 1885.

colonie du Luc

colonie du Luc

 

On débouche dans la cavité au sommet d’un escalier en pierres de taille qui ne déparerait pas dans un château tant son édification est soignée. Tous les degrés sont formés d’un seul bloc parfaitement taillé. (Récupération ?)  Trois volées de marches descendent dans la salle aux dimensions impressionnantes.

colonie du Luc

colonie du Luc

colonie du Luc

A propos de cet escalier, on peut légitimement s’interroger pourquoi le tunnel ne débouche par au pied de l’aven. Mr Daniel André émet l’hypothèse qu’en perçant le tunnel au niveau de la base de l’aven, la remontée des gravas coté doline aurait nécessité un chemin beaucoup trop pentu pour les animaux de trait. Il était beaucoup plus pratique de se débarrasser des gravas en les jetant dans le bas de la doline.

 

Aujourd’hui un peu de lumière nous parvient de l’aven. Ce n’était pas le cas lors de l’exploitation de la cave.

 

Un mur haut d’une vingtaine de mètres isolait complètement la salle du reste de l’aven.
colonie du Luc         colonie du Luc Photos Amm Avril 2013 

 

L’hiver dernier a été fatal au dernier pan.

 

Dans un coin manifestement aplani, (les déblais sont entassés contre la paroi de l’aven), le sol est jonché des claies délabrées où murissaient les fromages.

Il faut tenter d’imaginer les conditions de travail dans ces lieux où la température est d’une  dizaine de degrés et dans une obscurité difficilement combattue par les quinquets. Il faut ajouter à cette ambiance  un taux d’humidité de 72% bon pour le développement du Penicillium, mais certes pas pour les organismes du personnel.

Au cours de l’année 1885, il a été envisagé une grande extension afin de quintupler la production. Parmi les aménagements prévus, il est fait mention de l’aménagement d’une voie ferrée de type Decauville. Difficile de savoir si elle a été réalisée, mais il fort probable que non.En 1994, une observation des claies encore en place correspond à l‘inventaire de 1886. La liste des ustensiles donne à penser que le personnel n’excédait pas 6 personnes. Le chemin d’accès et le tunnel ne comportent aucune trace de pose de voie ferrée et la pente apparait incompatible.
La concurrence des caves de Roquefort qui ont drainé l’approvisionnement du lait a sonné le glas de ce projet mirifique. La fromagerie est restée, semble-t-il, une activité très marginale de la colonie du Luc. Les statistiques des prisons et établissements pénitentiaires mentionnent 2 colons affectés à la cave entre 1884 et 1903. L’activité fromagère a cessé en 1904, la cavité servant ensuite de cave à vin. (Marquès de Luc possédait un vignoble dans l’Hérault où il envoyait quelques colons méritants  « en vacances » pour les vendanges).

Voir le Fichier : Travaux_1902.pdf

 

La tour mystérieuse.
Proche des bâtiments, sur le plateau, demeure une construction énigmatique. Un puits d’une trentaine de mètres de profondeur et de deux mètres cinquante de diamètre a été creusé dans la roche, au prix d’un effort conséquent. Là aussi, les rumeurs prétendent que c’est le fruit du travail des colons, mais il est permis d’ en douter. Ce puits est entouré d’un mur circulaire haut de deux mètres cinquante A son sommet, on note sur la périphérie  la présence d’encoches. (Charpente de couverture ou appareillage pour une poulie ?)

colonie du Luc

Ce puits est fréquemment qualifié de cheminée d’aération qui n’aurait pas abouti à cause d’une erreur topographique. (Sa profondeur est de 29.5 m.) Une telle erreur nous parait étonnante mais pas improbable. Un projet d’extension en provenance des archives de Mr. Marquès mentionne bien le creusement d’un puits profond de 42m mais le plafond de la cave est bien plus bas. Où devait déboucher ce puits? Tentative avortée ? Est -ce bien le puits qui se trouve dans la tour ? Mystère!
Monsieur Pizio évoque la possibilité que l’on soit plutôt en présence d’une glacière.  La présence d’un endroit frigorifique pour fournir de la glace au plus près de la fromagerie afin d’assurer le transport peut paraître plausible, mais ce n’est qu’une hypothèse parmi d’autres et la profondeur du puits est peu compatible avec celle des glacières (Une dizaine de mètres.)

 

Conclusion:La colonie fut bien créée dans un but philanthropique, il n’empêche que les enfants ont permis la transformation d’une terre aride en la plus belle exploitation de la région.
Concernant les conditions de vie des colons, des témoignages contradictoires attestent que, la nourriture était très correcte au Luc, mais aussi, que les enfants étaient chaussés de sabots sans bride destinés à entraver une tentative d’évasion. Si un gardien-chef (Mr. Aumetz)  a fait l’unanimité concernant son humanité, ce n’est pas le cas pour d’autres dont le renvoi fut nécessaire.
Dans son roman , J. Castan mentionne un incendie provoqué par les enfants en janvier 1887, prétexte à l’ évasion d’une trentaine d’entre eux. Les séjours en cellule au régime pain sec sont souvent évoqués, mais l’auteur évoque  un profond respect envers M. Marquès du Luc, jugé sévère mais juste, par les colons.  En 1886, ce dernier porta plainte contre un instituteur soupçonné d’attentat à la pudeur.Pour être complet, il faut ajouter qu’ à leur mise en liberté les colons se voyaient remettre un pécule gagné par leur travail et divers récompenses ainsi qu’un livret de caisse d’épargne. Ils étaient munis également d’un trousseau. Les colons méritants étaient patronnés pendant leur réinsertion dans la société.Pendant la période 1856-1904. Le Luc est un établissement privé avec le statut de colonie agricole et pénitentiaire pour jeunes détenus.
Fin de la colonie et du domaine du Luc:
Si en 1856, l’Etat est favorable aux colonies privées, la situation change à partir de 1880 quand l’Etat veut reprendre la main sur le carcéral. Les subventions stagnent et le placement des colons se fait principalement dans les établissements publics. Dés 1886 M. Marquès propose la vente ou la location des locaux. En 1900, le député du Gard relève que Le Luc perd entre 35000 et 40 000 franc par an.(Tient-il compte des revenus de l’exploitation ?) Face aux refus de l’administration, M. Marquès doit, soit fermer, soit s’adapter.
Par philanthropie ou pour entretenir l’exploitation du domaine (je vous laisse le choix), il décide de continuer. Le Luc devient école professionnelle* en 1904. Une brève tentative de réserver l’accueil aux filles n’a pas été poursuivie. Rapidement, le Luc accueille des enfants difficiles de l’assistance publique sans que cela change grand-chose aux conditions d’hébergement. Le nombre des colons diminue sensiblement.
En 1912, des désordres ont entraînés une inspection qui conclura que l’établissement relève plus d’une colonie pénitentiaire que d’une école destinée à des élèves dont on pourvoit à l’amélioration. Le manque de gardiens ainsi que leur formation inexistante  sont mis en exergue. L’école fermera définitivement en 1929.
* A partir de 1889, l’administration pénitentiaire se trouve en concurrence avec l’Assistance publique. En 1902, les tribunaux sont autorisés à imposer à celle-ci les enfants « difficiles ».
Pour accueillir ces enfants, l’Assistance publique crée les écoles professionnelles. Si elles ne rencontrent pas un grand succès car la cohabitation entre vrais pupilles et délinquants pose problème, le département du Gard est demandeur pour combler une pénurie de main d’œuvre agricole.
Pendant 70 ans, les enfants ont façonné le paysage afin de le rendre productif, améliorant aussi les voies de communications. La population locale a profité des retombées de l’exploitation de cette colonie et ne souhaite manifestement pas entretenir le souvenir de cet épisode de leur histoire. Souhaitons qu’avec le temps, ces plaies se cicatrisent. Ce silence entretient, voire alimente, certaines extrapolations exagérées.

MUNDATUR CULPA LABORE Purifier la faute par le travail. Cachet du Luc (Cote 1Y163)

Pour conclure, les conditions de détention du Luc étaient dures et certains excès de la part de certains surveillants ont existé, mais sans commune mesure avec ce qui a pu se dérouler dans d’autres colonies où les enfants étaient de véritables esclaves. Je citerai Lucien Bossy: Le Luc ? Mais c’était le paradis des bagnes d’enfants !

Je le répète, il faut avoir en tête le contexte historique. Le statut des enfants fin XIXe était très loin du cocon protecteur actuel.

A partir de 1929, la prise de conscience de la situation des colons entraine la fermeture progressive des colonies. Le conflit de 14-18 ainsi que la baisse de la natalité qui en découla ont provoqué une diminution de la main d’œuvre bon marché. La crise de 1930 frappe durement le monde rural. Plus tard, l’augmentation des salaires ainsi que la concurrence de Roquefort, tout cela entama assez rapidement le rapport du domaine qui sera vendu dans les années soixante.

 

Ne possédant au mieux que des informations de seconde voir troisième main, les bâtiments de la fromagerie nous laissent encore des points d’interrogation notamment concernant les travaux d’aménagement effectués par rapport à la production fromagère présumée ainsi que son impact sur la colonie.
Qu’importe, acceptons  cette portion de mystère comme héritage de la part des enfants oubliés du Luc.

Je vous présente enfin quelques rares documents gracieusement mis à notre disposition par Mr. Lacotte. Tranches de vies

 

J’ai tenté de faite une synthèse la plus objective possible, mais, il reste néanmoins une partie subjective par manque de documentations et Il est difficile d’éviter un ressenti personnel face à de tels lieux chargés d’histoire..

 

Remerciements:
Je voudrais exprimer ma gratitude à M.Lacotte. Le résultat de ses recherches a servi de fil conducteur tout au long de ces articles. Il a eu la gentillesse de me recevoir et les entretiens concernant ses travaux ont été une aide très précieuse.
Je remercie vivement M. Pizio pour son accueil et sa patience pendant la visite des cellules ainsi que Mme et M. Valette pour leurs précieux renseignements et leur gentillesse.
Un grand merci également à Amm sans qui je n’aurai pas eu connaissance de ce site. Ses relations spéléologiques ont été précieuses quant à la compréhension du site notamment grâce aux travaux de Mrx Daniel André, Philippe Galant et Jacques Rieu. Nous leur devons une remarquable description de la fromagerie parue dans le bulletin du comité départemental de spéléologie de l’Hérault. N°11  année1997.Très instructif également, le DVD Cave bâtarde du Roquefort. Saint Ferréol. contact-jblt@orange.fr avec qui j’ai eu des échanges très constructifs.

 

Pour aller plus loin:
Vous pouvez trouver de très nombreuses statistiques concernant la durée des peines, l’état sanitaire etc. des colonies en cliquant sur ces deux liens:
1856-1888
1880-1903
De nombreux articles très intéressants: Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière »
Articles connexes:
Colonie pénitentiaire du Luc. (Genèse)
La colonie pénitentiaire du Luc. (Bâtiments.)
La colonie pénitentiaire du Luc. (Cellules.)

 

Colonie agricole et pénitentiaire du Luc (Genèse)

Colonie agricole et pénitentiaire du Luc (Genèse)

Baguenaudes qui a pour habitude de folâtrer à quatre pattes dans l’herbe ou la boue et dont la plume et l’humour possèdent la légèreté d’un AMX 30 rouillé, Baguenaudes, donc, s’attaque aujourd’hui à un sujet bien pesant que l’Histoire, penaude, se dépêche d’oublier.

Cliquez sur les textes colorés en bleu pour avoir plus de détails.

L’objet de ces propos liminaires concerne une colonie agricole et pénitentiaire fondée en 1856.

Plantons le décor:

Nous sommes sur les Grands Causses où la nature a façonné des paysages empreints de majesté. Soleil de plomb l’été et grandes froidures l’hiver, il a fallu aux paysans la ténacité d’une tique pour s’accrocher et subsister sur ces terres caillouteuses et dépourvues d’eau excepté quelques lavognes souvent taries au plus fort des chaleurs.

colonie agricole et penitentiaire du luc

Quand on arpente ces paysages somptueux, il est difficile d’imaginer les événements qui s’y déroulèrent il n’y a pas si longtemps. Pourtant, bien cachés, des vestiges impressionnants demeurent et racontent une histoire qui ne peut laisser indifférent.

 

De ces grands espaces contemplatifs émane  une impression de liberté, pourtant, paradoxalement, c’est une des raisons de l’implantation d’une colonie pénitentiaire en 1856. Ici, pas besoin de grandes murailles ni de grilles, l’étendue du paysage désertique rend toute tentative d’évasion vouée à l’échec. Pourtant, plus d’un colon ont été tentés par une envie irrésistible de liberté, rêve qui  se transformait immanquablement en cauchemar au cours d’un séjour en cellule d’isolement.

colonie agricole et penitentiaire du luc

 

Origine des colonies agricoles et pénitentiaires :

Tout ceci prend une dimension encore plus poignante quand on sait que les détenus étaient mineurs et orphelins pour une bonne part. La misère latente qui régnait au XIXe parmi les classes laborieuses favorisait une nombreuse délinquance juvénile qui effrayait le bourgeois.

En attendant l’invention du Karcher, les gavroches et sauvageons livrés à eux-mêmes, se retrouvaient facilement derrière les barreaux.

La fin du XIXe voit émerger une prise de conscience concernant le manque d’efficacité de la rétention carcérale pour les mineurs où la cohabitation avec les adultes fait des ravages.Inspirée du système pénitentiaire de la prison d’Auburn dans l’État de New York, une première tentative pour pallier la promiscuité des prisons et tenter de remettre ces mineurs dans le droit chemin eut lieu à la Petite RoquetteLa délinquance étant considérée comme « maladie contagieuse », les enfants étaient internés en complet isolement cellulaire interdisant toute communication entre eux. Travail, école, déplacements, office religieux se font sans aucun contact visuel ou oral. Les déplacements s’effectuent cagoulés!  Folies et suicides décimèrent rapidement les détenus. Nous voyons ici les stalles individuelles empêchant tout contact avec son voisin pendant la messe.

colonie agricole et penitentiaire du luc

Constatant l’échec de cette méthode « rédemptrice », il est proposé d’envoyer les délinquants à la campagne dans des colonies publiques ou privées où sabre, goupillon et travail seront les nobles leviers chargés de remettre les mineurs dans la bonne direction. Associée à une formation aux métiers agricoles, une éducation scolaire doit être donnée.

Les filles délinquantes, quelle que soit leur religion, sont dirigées dans des établissements gérés par des congrégations du type Bon Pasteur. Elles y demeurent recluses jusqu’à 21 ans.

La loi votée en 1850 encourage les initiatives privées en échange d’une pension versée pour chaque enfant accueilli.

Ce but louable a rapidement été dénaturé au profit  de l’enrichissement des administrateurs ou par manque de moyens quand l’Etat diminuait les subventions. Dans un cas comme dans l’autre, les conséquences pour les enfants détenus  étaient effroyables à nos yeux contemporains. Bénéficier d’une main d’oeuvre pratiquement gratuite et corvéable à merci était une aubaine pour l’administrateur.

Il faut néanmoins garder en tête que le travail des enfants était monnaie courante. Par exemple, à Carmaux, en 1850, 20% des mineurs sont des enfants et dans le monde rural, la location des enfants était chose banale.

colonie agricole et penitentiaire du luc

Photo Wikipédia.

colonie agricole et penitentiaire du luc

Au sein des colonies pénitentiaires, il faut ajouter à la dureté du labeur, la privation de liberté, les carences alimentaires, les conditions d’hygiène affligeantes et on imagine les sévices subis par les gamins livrés à l’autorité de certains matons. Les châtiments corporels sont interdits, mais de nombreux témoignages mentionnent  des enfants roués de coups en cas de non-respect du règlement. Les surveillants n’ont aucune formation et sont souvent recrutés parmi d’anciens militaires voir d’anciens bagnards! Les colons n’étaient pas tendres entre eux non plus. Violence et homosexualité règnent dans cet univers clos ou l’absence d’affection se fait cruellement ressentir!

Par exemple, à  Aniane, pour éviter toute « perversité », les colons dorment dans des « cages à poules ».

L’éducation scolaire se borne au minimum et n’est effectuée que pendant les rares moments où les travaux laissent un peu de temps libre.

Certains colons étaient placés dans des exploitations extérieures assurant un revenu supplémentaire à la colonie.

Les colons

Un simple délit de vagabondage, un menu larcin, ou une demande paternelle suffisaient pour se retrouver dans ces colonies.

De par la loi de 1850, sont concernés : les mineurs acquittés ayant agi sans discernement, non remis à leur famille ainsi que les mineurs condamnés comme discernants à un emprisonnement  allant de 6 mois à 2 ans. Les articles 10 et 16 de la même loi prévoient des colonies correctionnelles  pour les mineurs condamnés à plus de 2 ans, ainsi que des colonies pénitentiaires pour les insubordonnés.

 

Cette loi 1850 possède un coté pervers. A la suite de son arrestation, l’enfant jugé coupable était envoyé dans des centres de correction pour une durée plus ou moins longue. Par contre, si l’enfant était acquitté pour avoir agi sans discernement, il était envoyé dans une colonie agricole jusqu’à sa majorité afin qu’il soit soustrait à un environnement susceptible de le corrompre. Pour un vol bénin ou vagabondage ou par simple volonté parentale, un gavroche de huit ans pouvait se retrouvé « colonisé » jusqu’à 21 ans.

La longueur des détentions en rapport aux délits s’expliquent par le fait que ces internements étaient appliqués dans l’idée de soustraire l’enfant  à la mauvaise influence de son environnement habituel. Ce n’était pas pour déplaire aux propriétaires des colonies privées qui bénéficiaient ainsi d’un « retour sur investissement ».

Ces conditions effroyables ont fait que les tentatives d’évasions et révoltes étaient nombreuses malgré les représailles encourues. Mitard et régime sec furent la cause de plusieurs décès. La mortalité était plus ou moins importante suivant les colonies. A Mettay, entre 1837 et 1939 environ 700 décès sont retenus. Il faut tenir compte du fait que les enfants confiés aux colonies n’étaient pas tous en bonne santé.

Sur l’hexagone, environ une soixantaine de colonies privées furent créées et une dizaine publiques. (Belle-Ile, Aniane etc.).

Le sort des filles entre les mains des institutions catholiques n’était pas plus enviable.

L’ordonnance du 2 février 1945 remplace les colonies agricoles pénitentiaires par des structures véritablement éducatives gérées par une nouvelle direction du ministère de la Justice, l’Éducation surveillée. En 1970, le mitard était encore de mise dans certains centres.

 

Avec l’actualité où la délinquance juvénile et les réformes pénales font beaucoup parler, cette évocation d’un passé pas si lointain prend une résonnance toute  particulière. 

 

L’établissement du Luc créé en 1856.

colonie agricole et penitentiaire du luc

Cette colonie, dont nous allons visiter les vestiges, véhicule quelques fantasmes au pathos exagéré. Les faits qui s’y déroulèrent sont suffisamment pesants sans qu’il soit besoin d’en rajouter.

Monsieur M . de Luc, conseiller régional du Gard, possédait une grande propriété sur le Causse. Membre du jury de surveillance de la ferme école de Mas le Conte et magistrat, il est au courant  des travaux de Demetz à Mettray dont la devise était: Sauver le colon par la terre et sauver la terre par le colon. 

Dans un but « philanthropique », il décide de faire fructifier ce domaine de terres rocailleuses en créant une colonie qui éduquerait les enfants pervertis.

S’il ne fait aucun doute concernant la volonté philanthropique de Mr.de Luc, il semblerait que la gestion ait fait preuve d’une certaine naïveté. Le recrutement des surveillants s’effectuait parmi les agriculteurs locaux. Leur manque de qualification et la perversité de quelques uns engendrèrent  beaucoup de désordres principalement entre 1865 et 1870 qui menacèrent la sérénité de l’établissement.

M.de Luc, malade, passera la main à son fils Hippolyte en 1871.

Pour rendre les terres exploitables, il a fallu épierrer de grandes surfaces, les débroussailler. Toutes les pâtures environnantes sont encore ceintes de murets impressionnants, vestiges du travail de ces pauvres petites mains chargées d’épierrer  une propriété couvrant 1500 hectares.(Deux fois plus qu’à Mettray.)

colonie agricole et penitentiaire du luc

colonie agricole et penitentiaire du luc

 

D’après l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours, la nourriture était très correcte au Luc, voire bien supérieure à celle des paysans locaux. Pain et fromages ne manquaient pas, la colonie possédant son propre moulin. L’étendue de cette prairie qu’occupait le potager donne une idée de l’importance de ce dernier. Suivant les époques, il fallait nourrir plus de 300 bouches.

Le bosquet à droite recouvre les latrines dont la fosse est pourvue d’une ouverture qui bée vers le potager. Toutes les fumures, mélangées à la paille, sont bonnes à utiliser.

colonie agricole et penitentiaire du luc

 

Nous avons vu que les vertus pédagogiques du travail de la terre étaient prônées. La tâche principale des petits était l’épierrement du sol, le ramassage et hachage du buis pour les litières. Les plus grands participent aux travaux de culture, horticulture et élevage. Le Luc possédait un des plus grands troupeaux de la région (jusqu’à 900 brebis). Grace au travail des colons, la colonie peut pratiquement vivre en autarcie.

Des voies de communication sont également tracées. Les promeneurs qui arpentent le GR71 entre le Luc et La Couvertoirade ne se doutent pas que ce chemin nivelé est le  fruit du travail fourni par les enfants du Luc.

colonie agricole et penitentiaire du luc

 

Il est maintenant difficile de se faire une opinion concernant les conditions de vie des enfants du Luc. On note un grand écart entre les dires de la femme du petit-fils du fondateur de la colonie du Luc (1) et les narrations concernant d’autres établissements. (2).

L’importance de la ferme, jointe au rapport d’une fromagerie, implique que le Luc n’a pas dû trop souffrir du manque de moyens financiers inhérent aux autres établissements. Par ricochet, l’existence des colons, bien que très dure, devait être meilleure que dans la plupart des autres colonies. Malgré les rigueurs de l’hiver, le taux de mortalité au Luc  était semblable à celui des autres colonies et parait-il, inférieur à celui subi par les autochtones. Pas facile à vérifier.

L’entrée du cimetière est enfouie sous une végétation qui ne tardera pas à venir à bout du porche si rien n’est fait.

D’après les statistiques pénitentiaires, j’ai relevé pour la période de 1856 à 1904  au moins 135 décès. Les causes sont principalement la tuberculose et les fièvres typhoïdes fléaux de cette époque. Combien de colons reposent  sous cette  parcelle oubliée ? Je ne sais pas. Tempus fugit, memoria manet dit-on, mais ce n’est pas vrai  pour les enfants du Luc. L’endroit est devenu une friche anonyme quasi impénétrable.

colonie agricole et penitentiaire du luc

A l’intérieur, la croix qui vraisemblablement surmontait ce piedestale a été enlevée du lieu de repos éternel. Un siècle plus tard, tout semble fait pour que disparaissent de la mémoire collective les souvenirs de cette période qui a vu la population profiter directement ou indirectement de la présence des colons. Pour ces colons, c’est la double peine. Après avoir vu leur jeunesse privée de liberté, ils sont mis au ban de la mémoire collective…

colonie agricole et penitentiaire du luc

 

Pardonnez ce texte inhabituellement long sur Baguenaudes, mais le souvenir de ces enfants mérite de sortir de l’oubli en dépit du sentiment de culpabilité qui règne encore sur cet endroit.

colonie agricole et penitentiaire du luc

COGITE PARVULOS REDIRE AD ME
On trouve cette inscription sur un autre calvaire qui lui, a conservé sa croix. Effectivement, je pense qu’ils en sont revenus!

Vous n’avez pas tout vu! Dans un prochain article, nous ferons le tour des bâtiments de cette ancienne colonie.

 

Liens et documentations pour approfondir:

Audio:

(1)Reportage France Culture:Ce reportage audio résume parfaitement les impressions actuelles qui émanent de ce lieu.

France Inter. Sur les colonies :

Colonie de Mettray. (Là bas si j’y suis) . Témoignage exceptionnel d’un ancien colon.

Articles:

Genèse  des colonies pénitentiaires :

Eric Pierre. Les colonies pénitentiaires pour jeunes détenus : des établissements irréformables (1850-1914)

Jean François Condette. Entre enfermement et culture des champs, les vertus éducatives supposées du travail de la terre et de l’atelier.

Quelques dates importantes. Enfants en justice.

Livres :

La colonie pénitentiaire et agricole du Luc. Geoffroy LACOTTE. Arts et traditions Rurales 2012. (Incontournable !)

Le jardin. Jean Castan 1992 éd La Mirandole. (L’auteur est le petit fils d’un des gardiens chef du Luc.)

Les Enfants du bagne, Marie Rouanet,(2) éd. Documents Payot, 1992

Enfants du malheur ! Les bagnes d’enfants. Henri Danjou, éd la manufacture de livres.