Quand on passe devant l’édifice du Luc Haut, rien ne laisse soupçonner ce à quoi il était destiné.
Pourtant, si la curiosité vous fait lever la tête, vous trouverez une ancienne fenêtre encore munie de barreaux, symbole d’un univers carcéral.
Nous allons passer en revue ces locaux pour tenter de rattacher le présent au passé de la colonie.
Comparaison entre deux photos aériennes prises en 1948 et 2010. L’école a disparu et un hangar a été construit à l’emplacement du portique érigé pour la culture physique.
Sur la façade donnant sur la route, on constate que la toiture n’est pas d’origine. Un étage a disparu. En 1937 une épaisse couche de neige est venue à bout des toits mal entretenus.
Dans les années 1990, Mr Marquès a vendu la caserne et ses dépendances. Le groupe de bâtiments actuel est maintenant morcelé en différents appartements plus ou moins réaménagés sans que cela ait trop modifié l’agencement originel de la cour intérieure. Les fenêtres des parties non rénovées sont obturées. Le troisième étage, fortement dégradé, est menacé de ruine. L’absence de cheminée pour un climat si rude indique des conditions de vie spartiates. Seules l’école, l’infirmerie et la cuisine possédaient un moyen de chauffage pour affronter un hiver sans pitié. Un rapport d’inspection de 1893 mentionne que la plupart des malades souffraient d’affections des voies respiratoires.
Au centre de la cour d’honneur se trouve une des six citernes qui approvisionnaient la colonie en eau. Si l’on excepte la période de 1865 à 1870, la colonie est tenue dans un état sanitaire irréprochable. (G. Lacotte). Un médecin se rendait sur place deux fois par semaine (en principe). Les colons avaient droit à deux bains chauds . . . par an, ablutions complétées à l’aide d’une rivière et des lavognes pendant la saison chaude.
Une chapelle (XVIIIe) quant à elle, se chargeait de laver l’âme des colons. A partir de 1886, suite au courant anticlérical, l’instruction religieuse est supprimée, ne subsiste que la messe dominicale.
A gauche de la chapelle, séparée de la cour d’honneur par une petite grille, se trouvaient les bâtiments réservés à la direction et au personnel encadrant.
La partie droite avec les chiens assis a été volontairement détruite tandis que la partie gauche est devenue un gîte d’étape.
Nous sommes sur l’emplacement de la cour des petits. L’ancienne école a disparu. Elle se situait devant ce bâtiment (vraisemblablement le réfectoire et les cuisines où deux fenêtres ont conservé leurs barreaux.) Pendant la première période, seuls 40 % des détenus profitent de l’enseignement avec plus ou moins de succès. Parallèlement à de l’instruction militaire, des cours de musique sont donnés et Le Luc possède son orphéon. Des défilés animent les fêtes villageoises environnantes. A partir du changement de statut en 1904, tous les élèves doivent recevoir l’éducation primaire jusqu’au certificat d’étude.
A gauche de la descente de gouttière, les murs portent les traces d’un escalier menant à la porte désormais condamnée du dortoir des petits. Le rez-de-chaussée abritait un grand réfectoire.
La majorité des colons était employée aux industries qui se rattachent au milieu agricole. Pour occuper les colons l’hiver, plusieurs ateliers sont créés en 1865. Filets, rotins, cordonnerie apportaient des revenus complémentaires. Les portes des ateliers servant maintenant de remise agricole sont toujours visibles.
Sur cette ancienne photo nous pouvons voir, au même endroit, les colons employés à un atelier de vannerie vers 1895. Cette année là, vingt-cinq colons étaient affectés à cette activité.
Document G.Lacotte
Au premier plan, ce grand mur délimitait la cour des grands. Aujourd’hui, les clameurs des enfants sont remplacées par les aboiements d’un chenil.
A gauche, la façade du bâtiment comporte à l’étage une fenêtre qui donnait sur l’infirmerie. Le volet en bois ferme un couloir qui desservait les cellules.
Voici la vue latérale du bâtiment avec, au dessus des cellules, l’étage du dortoir des petits et à son extrémité, l’infirmerie.
Les marches en pierres de l’escalier desservant ce niveau sont marquées par l’usure due aux nombreux sabots qui les ont gravies.
En dessous, cinq cellules occupent le rez-de-chaussée du bâtiment. Mutineries, vols, fugues et actes immoraux conduisaient à un séjour plus ou moins long dans ces réduits d’isolement. Nombreux furent les enfants qui apprirent à leurs dépens que l’escampette n’était que poudre aux yeux. Crânes rasés et uniforme voyant étaient facilement repérables dans ces espaces désertiques où la chasse aux fugueurs était une activité lucrative pour les agriculteurs. Malgré cela, pour beaucoup, la tentation de voler quelques instants de liberté était trop forte.
Quatre-vingt ans plus tard, les portes et barreaux sont toujours là, témoins poignants d’une discipline implacable. Par exemple, un certain Michelot écopera en plusieurs fois de 38 jours d’internement entre avril 1889 et février 1890 pour des causes allant d’insubordination à réplique aux observations de son gardien.
A l’intérieur des cellules, les murs parlent encore. On peut constater qu’après 1904, date à laquelle la colonie pénitentiaire est devenue une école professionnelle pour pupilles, les séjours en cellules ont perduré. Pour découvrir les émouvants témoignages laissés par les gosses, cliquez sur l’image en dessous.
Un autre édifice placé au carrefour avait une grande importance puisqu’il abritait le moulin, le blutoir et le four. Les meules étaient actionnées à l’aide d’une machine à vapeur. Cette bâtisse, transformée en restaurant, ne garde plus aucun souvenir de ces fonctions.
Sa façade opposée ferme un côté de « la cour des vivres » appelée aussi « cour de l’incendie ». Le feu était la hantise au Luc. Plusieurs mises à feu volontaires ont été déclenchées afin de faciliter des évasions.
Dans cette cour on trouve également les vestiges d’une tour moyenâgeuse, unique vestige de l’époque de la puissante famille des Roquefeuil.
Pour être complet, jetons un oeil sur le Luc Bas situé 500 mètres à l’Est. Cette métairie fut cédée aux Templiers en 1258 et devint propriété des Marquès en 1798. Il est dommage de constater que ces bâtiments à l’architecture typique des Causses soient dans un tel état de délabrement.
De cette métairie, toujours propriété de Mme Marquès de Luc en 2014, un large chemin nivelé avec soin par les colons se dirige vers le Nord pour desservir 1500 mètres plus loin une fromagerie implantée dans une grotte dont la situation et la conception sont exceptionnelles seront décrites dans un prochain article. Vous y découvrirez notamment les différents aspects spectaculaires et émouvants de la cavité glaciale au pied de l’aven de St Ferréols.
Un très grand merci à l’auteur de ce blog et du thème sur le bagne pour enfants de Luc. J’ai lu, il y a plus de 20 ans le livre de Marie Rouanet et je ne savais pas qu’on pouvait encore voir certains bâtiments. Je ne manquerai pas d’aller faire un tour à Luc dès que possible.
Merci pour les photos et pour le texte très précis sur cet univers pénitencier.
Merci pour votre passage. Le site dela fromagerie est assez impressionnant.
bonjour
pouvez vous préciser d’où avez vous connaissance du fait que le feu était la hantise du luc et qu’il aurait facilité des évasions ?
Le rapport du sous-préfet du Vigan du 13 aout 1886 relate l’évasion de 37 colons facilitée par un incendie.
J. Castan. Le jardin
L’usage du tabac est absolument interdit ainsi que la possession d’allumettes.
G.Lacotte La colonie pénitentiaire et agricole du Luc
Blanc Albert 30 jours de cachot pour tentative d’incendie.
M.Rouanet Les bagnes d’enfants
Quant à la crainte des incendies, elle était commune à toutes les constructions rurales où étaient stockés les indispensables foins et la pailles.
Je vous remercie pour la réponse.
Nous allons organiser une ballade au Luc à la fin mai.
Votre document nous sera fort utilise, encore merci.
Merci beaucoup pour ce travail très complet ! Nous venons de découvrir ces lieux à l’occasion d’une promenade. C’est terrible ! Et plus encore parce qu’il n’y a aucune indication du site sur place, même des interdictions. Il est fou de constater qu’aucun travail de mémoire n’est engagé là-bas ! La volonté d’oubli ou d’ignorance est manifeste, le drame perdure… Le lieu devrait servir la mémoire de tous ces bagnes d’enfants.
Merci encore à vous.
Le travail de mémoire est assez compliqué a assumer, heureusement que le propriétaire des cellules est conscient de ce fait en les conservant dans l’état.
Merci pour votre passage.
Bonsoir,
Je voulais aller voir ce site mais je vois qu’en 3 ans depuis votre publication il y a eu pas mal de rénovation faite (chambre d’hôte, restaurant,..) Du coup, j’aimerai savoir ce que l’on peut encore voir ? Et comment ca se passe si l’on veux visiter les cellules et tout ce quil y a voir ? Est ce libre ou faut il demander aux propriétaires ?
Merci d’avance
Bonjour
Quand j’y suis passé en 2016, rien n’avait bougé. Il est clair que le site va évoluer et que les vestiges de l’époque de la colonie vont disparaître petit à petit, plongeant un peu plus la mémoire des enfants du Luc dans l’oubli. Lors de ma première visite, j’ai eu la chance de rencontrer sur place les propriétaires et j’ai pu avec leur autorisation faire des photos.Il est évident qu’il s’agit de lieux privés.
Bien cordialement
bonjour,nous y sommes allés,c’est émouvant…y a-t’il des vestiges du cimetiere?comme c’est privé,nous ne sommes pas rentrés.merci de votre témoignage.jean-michel
Merci de votre passage. Je pense que le cimetière n’a pas bougé si ce n’est en pire depuis mon passage. Le lieu est privé (comme le reste) et j’ai pu profiter de travaux à l’intérieur du terrain pour visiter…les ronces. Avant la vente du terrain , il était nettoyé par des scouts.
Bonjour,
Suite à l’article du Monde des Livres, daté du vendredi 17 mai 2019, nous venons de découvrir l’existence de
cette colonie pénitentiaire pour enfants, et votre site donc. Merci.
L’actuel « Gîte de Charme Prieuré du Luc-Gard » (intitulé du nom du site) occupe-t-il les anciens locaux
de la colonie, d’après ce dont vous avez connaissance?
Les différentes photos vues en ligne nous le font croire. Cela dit, sur le site du gîte actuel, aucune référence n’est
faite à la colonie ( s’il s’agit des anciens locaux, évidemment, la référence ne serait pas attrayante…).
Merci encore d’informer ceux qui vous lisent et de ne pas oublier ces enfants.
Merci de votre visite. Le gite se trouve dans les anciens locaux du directeur de la colonie.
Bonjour,
Je vous félicite pour votre formidable documentaire de ce lieu malheureusement oublié. Je suis sur l’élaboration d’un livre sur mon village où je parlez des différents métiers d’antan. j’y parle du dernier fromager qui en voyait son lait caillé à Roquefort pour mâturation. C’est ainsi que j’ai fait un petit résumé sur la colonie agricole de Luc et des enfants. M’autorisez vous à y ajouter une photo de votre site.
Je vous remercie .
S.Besançon
Bonjour, j’ai découvert de lieu vers 1985, j’ai filmé en vidéo car tout était ouver et comme je suis scénariste j’ai écrit un scénario sur le sujet, qui n’a jamais trouvé preneur. Pour ce faire j’ai écumé toutes les archives du Gard, Hérault, Aveyron. Et croyez moi c’était sordide. M. MARQUES était le propriétaire. Avez vous visitez le tunnel et le gouffre ?
Bonjour,
Oui j’ai bien visité, la description est dans les différents articles.
Je vous remercie d’avoir fait ce blog, d’avoir raconter & décrit ce qu’étais une colonie de jeunes enfants & ados aux 19° et début 20° siècle. Et surtout celle du Luc
J’ai dans mes ascendants un jeune garçon qui est mort dans cette colonie du Luc. Il s’appelais Lucien Rouzières, il avait 18 ans, étais né à Graulhet en 1880, décédé le 22/06/1898, il n’étais pas orphelin, avait 3 autres frères après lui. Comment retrouvé trace pourquoi il se trouvais là ? Et de quoi ést il décédé ?
Un voyage passionnant que vous m’avez fait faire
Bien cordialement
C.VICTOR