Godin

Jean Baptiste André Godin (1817-1888). Qui n’a pas, au moins une fois,  réchauffé ses mains  au-dessus d’un de ses fameux poêles ?

 

Si la renommée industrielle de Godin est notoire, on connait moins son engagement social et la mise en application de théories sociétales qui résonnent de manière particulière par les temps qui courent.

 
Fils d’artisan et autodidacte, Godin travaille dans l’atelier de serrurerie paternel dès l’âge onze ans.
Parallèlement il s’instruit en prenant des cours du soir et en lisant beaucoup.
A 17 ans, il part faire son Tour de France des compagnons du devoir. Au cours de ce périple, il se rend compte de la grande misère matérielle et morale qui règne parmi la classe ouvrière (Nous sommes à l’époque de Zola et Victor Hugo).
A son retour, il travaille dans un atelier de fonderie et dépose son premier brevet qui consiste à remplacer la tôle par de la fonte pour la fabrication des calorifères et cuisinières. Idée de génie et succès immédiat, Godin crée son entreprise en 1846 à Guise. Grace à son innovation, il fait rapidement fortune.

 

Godin adhère aux idées révolutionnaires de 1848 et s’inspire du mouvement social théorisé par Charles Fourier (le Phalanstère). Il n’hésite pas alors à engager 1/3 de sa fortune pour financer un projet utopiste au Texas.
Devant l’échec de ce dernier, il décide de mettre seul ses théories en pratique à Guise avec la création du Familistère.
Il transforme son entreprise en coopérative de production, les bénéfices finançant écoles, caisses de secours, etc. Le reliquat est ensuite distribué entre les ouvriers, proportionnellement au travail fourni pendant l’année. Les bénéfices sont distribués sous forme d’actions de la Société : les ouvriers deviennent ainsi propriétaires de l’entreprise
Il tente d’instaurer un système d’autogestion dans son entreprise au travers de commissions d’administration élues. Il est remarquable pour l’époque que les femmes avaient le droit de vote.
Mal compris des ouvriers, ce système sera remplacé par l’Association du Familistère de Guise.
Les membres élus de l’Association appartiennent à des catégories sociales distinctes et hiérarchisées: des associés, des sociétaires, des participants et des intéressés.

 

Godin est également très soucieux d’améliorer les conditions des employés.
Tous les acteurs de l’entreprise ont accès aux mêmes avantages quelle que soit leur situation dans l’entreprise.
Réduction du temps de travail qui passe de douze à dix heures et les salaires sont jusqu’à 25% plus élevés que dans les autres entreprises. Travailler moins pour gagner plus en somme !
Une grande place est accordée à l’éducation, socle de son engagement social avec la création de deux salles de classe mixtes. C’est lui-même qui dessine les pupitres d’école. Les élèves sont incorporés à l’usine en fonction de leurs résultats. Les plus doués sont envoyés dans les écoles d’ingénieurs à Paris.


Misant sur une culture du mérite, il encourage les élèves par un système de récompenses et de compliments, donnant lieu à un spectacle lors de la fête de l’Enfance, créée en 1863.


Toutes les dépenses concernant l’éducation et l’instruction sont supportées par l’Association.
Il crée également un système de sécurité sociale et de retraite en 1860 !
Un cabinet médical entièrement gratuit est mis en place.

 

Au grand dam des commerçants locaux, un économat est organisé pour supprimer les intermédiaires et bénéficier ainsi de prix plus bas. Cela permet également de contrôler la qualité des produits proposés.

 

Le Palais Social

Enfin Godin a voulu procurer à ses employés un logement spacieux à proximité de l’usine. Rompant radicalement avec les logements ouvriers type coron, il conçoit des bâtiments communautaires tablant sur l’émulation générée par un mode de vie fédératif.

Pour cela, en 1964, il fait ériger trois grands bâtiments entièrement élaborés sur ses plans. Chaque édifice possède des logements sur quatre étages autour d’un grand hall rectangulaire couvert d’une verrière. Le rez-de-chaussée est réservé à différents magasins et boutiques.

 

Les appartements sont formés de modules comportant deux pièces. Ces modules peuvent être accouplés facilement quand la famille s’agrandit. Ils offrent un confort que même les bourgeois possèdent rarement.
On y trouve un chauffage par un poêle et éclairage au gaz. Chaque étage est alimenté en eau chaude. On y trouve douches et cabinets d’aisances et…vide-ordures. Nous sommes en 1864, je le rappelle.
Godin pense son projet dans les plus petits détails. L’espace entre les barreaux des coursives est calculé de façon à ce qu’un enfant ne puisse y passer la tête. La taille des fenêtres est dégressive vers le haut afin de répartir équitablement la lumière du jour dans les appartements etc. Conscient de l’effet de serre provoqué par la verrière, il prévoit un système de cheminées qui véhiculent dans les murs l’air frais provenant du sous-sol.


Les étages sont desservis par des escaliers en demi-colimaçon afin de permettre une ascension moins pénible si on emprunte les degrés à l’extérieur.

 

Afin de soulager les femmes, les tâches ménagères sont mutualisées.
Une crèche est mise en place. Pour l’anecdote, dans les berceaux il fait remplacer le matelas par une épaisseur de son. Ainsi, en cas de pipi, il suffit de remplacer la petite boule de son agglomérée par du son sec. Celui souillé étant donné aux bêtes. Cela donne une idée de son inventivité qui ne semble pas connaitre de limites allant du plus petit détail aux 300 brevets industriels !

 

Pour favoriser les conditions d’hygiène, un grand bâtiment à part abrite une buanderie alimentée par l’eau chaude en provenance de la fonderie. Le sol est parcouru de rigoles afin que les lavandières puissent travailler les pieds au sec.


L’étage supérieur, aux murs ajourés, est réservé au séchoir. Il est actuellement transformé en salle d’exposition.


Il met à disposition des employés une piscine équipée d’un fond amovible afin d’adapter la profondeur du bassin à la taille des enfants. !


Faisant face aux habitations, il érige un théâtre pour divertir mais aussi pour y donner des conférences sur les théories sociales de son engagement politique.


 

Le familistère est entouré d’un grand parc agrémenté d’un kiosque à musique. Il se dit que parfois les locataires, quelques bouteilles sous le bras, allaient y passer quelques jours pour échapper aux contraintes imposées par la vie en communauté. En effet, pour gérer cet environnement communautaire, Godin comptait sur l’auto discipline, mais aussi sur un règlement strict dont les amendes alimentaient les caisses des secours.

 

Bref, tout est fait pour assurer un épanouissement le plus grand possible aux employés, le tout avec un esprit de modernité assez incroyable pour l’époque. Participation aux bénéfices, auto gestion, salaires élevés, hébergements confortables, mixité à l’école, union libre, économat pour réduire les prix de vente, émancipation des femmes etc, ajoutez son engagement politique. Inutile de préciser que son projet utopiste ne lui valut pas que des amis. Il dut subir plusieurs perquisitions sous la restauration de l’Empire par Napoléon III. Prudent, il fonda un autre phalanstère en Belgique (Laeken). La réussite économique de l’entreprise à Guise lui épargna les désagréments que connut Victor Hugo.

Vous trouverez facilement sur internet les détails de son engagement social qui repose sur l’élévation du peuple par l’éducation, il remet principalement en cause l’impôt et l’héritage qui doit être, selon lui, être géré par l’Etat pour une meilleure répartition des richesses.
L’impôt est un obstacle à la libre expression de l’activité des citoyens ; il est préjudiciable au progrès, au développement de la richesse générale ; il est surtout un obstacle à l’émancipation des classes laborieuses parce qu’il épuise les ressources du travail au profit du capital.
Si plusieurs projets de phalanstères existaient à l’époque, Godin a réussi à mettre en pratique une utopie qui perdura après son existence. Un an avant sa mort, alors que l’usine emploie 1500 personnes, Godin, qui habitait lui-même le Familistère, fait son testament en faveur de l’association.

La coopérative fonctionnera jusqu’en 1968. Au fil des ans, l’esprit de Gaudin disparaît et la gestion de la coopérative revint à une caste de plus en plus réduite et gangrenée par l’appât du profit. Suite à une mauvaise gestion l’entreprise est finalement vendue à la société Le creuset qui conserve le nom de la marque. Les autres bâtiments sont mis en vente.
Le Palais social, érigé pour loger les employés, est maintenant transformé en musée qui a la particularité de posséder encore plusieurs appartements occupés par des particuliers.
Pour conclure je laisse la parole à Michel Lallemant :
« Qu’il s’agisse, en bref, des stratégies gestionnaires, de la démocratie dans l’entreprise ou du droit des femmes, Godin a su faire œuvre d’innovateur au service de l’émancipation collective. Mieux encore, même si les réalisations n’ont pas toujours répondu à ses espérances, ce chef d’entreprise fouriériste a proposé des solutions sociales originales dont nous n’avons toujours pas fini de mesurer la richesse ni de tirer toutes les implications. »

 

Je n’ai, bien entendu, fait que survoler le sujet, faisant abstraction de certains cotés négatifs aussi, pour approfondir, je vous invite à consulter plusieurs sites décrivant l’œuvre de Godin.
1/ En tout bien, tout honneur, le site du musée du Familistère. Nombreuses illustrations d’époque. hand-cursor
2/ Laboratoire Urbanisme insurrectionnel. Très complet et critique. hand-cursor
3/ Et pour finir Mutualité sociale par Godin himself.hand-cursor

3 réflexions sur « Godin »

Répondre à Jean-Yves Lacroix Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.