Carrière de Picardie

 

Silence ! On tourne! Ce n’est pas du cinéma mais bien la réalité!
Silence car, dans ces carrières, aucun son ne fait vibrer nos tympans. Certes, le monde souterrain est souvent calme, mais il est rare de ne point y percevoir une musique en provenance d’un petit écoulement d’eau. Ici, rien, pas de réverbération ni d’écho malgré la taille des vides. Le bruit des pas est étouffé par l’épaisse couche poudreuse qui recouvre le sol. Et on tourne, on contourne, on retourne, chaque pilier cache un nouvel enchaînement de galeries interminables.
Cette cavité est un vrai labyrinthe où l’on a vite fait de perdre le fil de l’orientation si l’on y prend garde.

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La pierre exploitée est un  calcaire luthérien vieux d’environ 40 millions d’années. Une de ses strates possède la particularité de contenir de nombreuses empreintes de cérithes (Campanile giganteum) dont certaines dépassent les quarante cm. Cette strate étant de piètre qualité, l’extraction des pierres de taille s’arrête à ce niveau ce qui nous laisse un ciel (plafond) décoré d’empreintes de coquillages.

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Voici une chambre d’exploitation caractéristique avec son front de taille latéral en dents de scie.

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L’exploitation de cette pierre à bâtir est très ancienne et a, semble-t-il, connu une forte intensification au cours du XIXème.
Les blocs extraits avaient une taille respectable : (en gros) 1.60m.X 0.80m.X 0.80m et la technique d’extraction employée est semblable à celle utilisée dans les carrières de craie, bien que la taille des blocs extraits demande des méthodes adaptées.
D’après les fameux carriers Grosso et Modo, le défruitage du bloc commençait par une entaille horizontale dans laquelle on insérait des cales. Ensuite , du bas vers le haut, étaient pratiquées les saignées verticales (essimures) et pour finir, une autre saignée horizontale en haut finissait de délimiter le bloc à extraire. A ce moment, celui-ci n’est plus solidaire de la masse que par le fond. Des rouleaux (roules) de diamètres dégressifs sont placés dans l’entaille du bas. Des coins sont enfoncés dans l’entaille supérieure pour forcer le bloc à se détacher de la masse. Il n’y a plus qu’à tirer et, en partie soutenu par une béquille, le bloc bascule sur un lit de remblai fin (cran) destiné à amortir sa chute.

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Jusqu’à la fin du XIXème, les saignées étaient pratiquées au pic et à la barre à mine (aiguille). A cette époque, l’usage de la lance se répandit, permettant des découpes de blocs plus importants. C’est une grande barre à mine pouvant atteindre les 5 mètres de long. Elle est suspendue à un portique à l’aide d’une chaîne qui permet un mouvement oscillant.

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Voici quelques stigmates laissés par différents outils :le pic avec ses traces obliques et légèrement incurvées:

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Lances ou aiguilles, quant à elles, laissent des traces horizontales et globalement parallèles.

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Sur certains blocs laissés sur place, les faces présentent de belles stries laissées vraisemblablement par une scie crocodile ?

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L’usage du pic a perduré jusqu’au XXème suivant les carrières. S’il a été remplacé par la lance, les deux techniques ont pu cohabiter. De toute façon, sans être spécialiste, c’est difficile d’interpréter les fronts de taille car, manifestement ils ont été repris à différentes époques, soit en sur-creusement ou sous-creusement, voir en rognant des piliers .
On peut voir ici que le niveau bas a été exploité au pic alors que le niveau supérieur porte les stries horizontales laissées par les aiguilles (ou lances?). Il est probable que les encoches (flèches rouges) étaient destinées à recevoir le montant horizontal du portique supportant la barre à mine. On notera également les traces de lampes à acétylène au plafond. Celles-ci indiquent une reprise d’exploitation à partir du début du XXème.

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Sur cette galerie , on peut voir que l’exploitation au-dessus du trait vert a été reprise à la lance en surcreusement. (Stigmates réguliers et parallèles.) Sur le ciel, on peut également constater 2 modes d’extraction. A gauche, les blocs ont été forcés au coin, tandis qu’à droite, le ciel porte les traces de découpe à la lance.

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Ces blocs de faible épaisseur laissés de côté nous interloquent. Ils présentent une face inégale manifestement due à l’extraction du ciel de la carrière à l’aide de coins. La manutention de la lance nécessitant un certain dégagement, il est possible que ces blocs pourraient donc avoir été « sacrifiés »afin d’obtenir une belle taille à la lance pour les blocs extraits en dessous. Ce n’est que supposition très hasardeuse de ma part.

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Bref, plutôt que de raconter billevesée et coquecigrues, contentons nous de visiter ces lieux on ne peut plus dépaysants.
Après la fin de l’exploitation, les champignonnistes ont occupé l’espace et débarrassèrent les travées des rebuts de taille. Les piliers tournés forment les colonnes d’un temple insolite digne de Dédale. Il est amusant de constater que de nombreuses pierres extraites ont servi à l’édification de monuments prestigieux et que les vides occasionnés ont fini par engendrer des volumes tout autant spectaculaires et majestueux !

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Le plafond porte les traces des contours des blocs.

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Ça et là, des blocs attendent, attendent, attendent…

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C’est bien beau tout ça, mais on a passé l’age de jouer au Minotaure ! C’est où la sortie, par ici ?

carrière souterraine (31)Ou par là ?

carrière souterraine (33)Silence ! On tourne!

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A suivre…

2 réflexions sur « Carrière de Picardie »

  1. Magnifique voyage dans l’ Inconnu
    Merci Gadjo pour cette incursion si étrange dans ce monde de blancheur et de silence
    Juste des pas dans la poudreuse ….

    Anouk de l’ASEPA..

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